RECHERCHES - Théâtre d'oc contemporain : pour une alternative expérimentale

Théâtre d'oc contemporain : pour une alternative expérimentale...

I – Constats
Il ne fait de doute à personne que le spectacle vivant occitan est à une période charnière. Son renouveau conceptuel date des années 1970 et cette génération atteint l'âge de la retraite. Ce serait une erreur de ne pas capitaliser cette contribution et de ne pas la confronter aux attentes et aux perspectives que se donne la génération suivante. D'autant plus nécessaire est ce passage de relais que la génération suivante se cherche et est aux prises avec un contexte critique (crise de société et crise de la théâtralité).


Il ne fait pas de doute non plus que le spectacle vivant occitan est sous une double influence :
– une tradition ethno-culturelle qu'il faut redécouvrir sous l'angle du « patrimoine culturel immatériel » pour comprendre sa prégnance et pour profiter de ses potentialités
– une modernité qui l'engage dans les processus de la mondialisation qui – en même temps – étouffent « le local » et le libèrent du carcan idéologique que les Etats-nations centralistes ont imposé à la fécondité des différences culturelles.
Il convient d'ajouter à cet ensemble de données le comportement de « la classe politique » qui a trop longtemps sous-estimé le phénomène culturel méridional (1) et qui s'est trop longtemps défaussé d'une citoyenneté territoriale qui appelait a davantage de discernement en matière de développement culturel durable et équitable.

De leur côté, les professionnels ne sont pas parvenus à crédibiliser l'existence d'un authentique « marché » théâtral inter-territorial. Leur incapacité d'action coopérative concertée n'a de pareille que l'incapacité des pouvoirs publics à répondre aux appels à la formation professionnelle et aux stratégies culturelles susceptibles de conforter la position sociale, linguistique et esthétique des artistes locaux.


II - La voie de la concertation
Le premier acte salutaire devrait être que les élus et les acteurs de ce secteur discutent du bilan d'une génération, des attentes de l'autre et des perspectives que les politiques offrent à leur avenir.
Cette estimation pourrait revêtir la forme d'une rencontre avec témoignages-et-dialogues ou bien la forme d'une enquête auprès des intéressés suivie d'une proposition programmatique exposée lors d'un forum de conclusions...
Si cette voie démocratique s'avérait incertaine ou impropre à la situation présente, il demeurerait patent qu'un projet expérimental émerge du déclin actuel en tirant partie de quelques principes qui ont résisté à l'épreuve du temps ou qui sont nés dans les turbulences de la dernière décennie.


III - La voie de l'expérimentation
Ces principes relèvent des 3 ordres majeurs : le patrimoine, la transmission et la création. Ces 3 ordres ont des dynamiques propres. Si ces dynamiques sont impulsées, leur complémentarité ira de pair.

1 / Le patrimoine culturel immatériel : « Temporadas, totems e centre experimental dels imaginaris tradicionals »
Autour des fêtes saisonnières et patronales, des bestiaires catalans et occitans, des savoir-faire artisanaux et communautaires, des savoir-être véhiculés par les arts, l'histoire et les valeurs du terroir immatériel se profilent des initiatives positives. Positives parce que populaires, intergénérationnelles, solidaires et participatives. Positives car elles regroupent amateurs et professionnels de toutes les disciplines artistiques, praticiens et chercheurs, autochtones et résidents.
Positives par leur propension à relier les patrimoines culturels immatériels (p.c.i.) local, national et euro-régional dans l'esprit de l'UNESCO (2)...
Toutes ces initiatives sont à encourager. A cet encouragement associatif accompagné par le CIRDOC et diverses fédérations doit s'ajouter et se définir une contribution professionnelle d'ordre technique et artistique. Cette contribution professionnelle doit être intégrée à la conception, à la réalisation et à la promotion des événements festifs qui regroupent les associations désignées afin de donner du sens et du mieux aux initiatives prises. Sur le terrain, nous avons inventé le mot d' « actaires » (3) pour signifier ce rôle d'acteur-animateur-collecteur-médiateur indispensable à la valorisation du p.c.i. régional. Ces « actaires » sont aussi indispensables que le mouvement associatif lui-même, leur raison est d'agir en osmose avec lui.
Des entreprises salutaires comme une Fédération régionale du bestiaire totémique ou comme l'essor des « Temporadas » ou comme la préfiguration d'un « Conservatoire expérimental des imaginaires traditionnels » (4) exigent de définir le cahier de charges d'une telle mission et de missionner une équipe de compétence.

2 / Transmission : formation professionnelle (type AFDAS)
La génération des années 1970 a eu beaucoup de mal à retrouver le filon historique du théâtre d'oc. Au moment où ce lien a été rétabli et où se sont constitués de vrais métiers autour de cet art, la transmission inter-générationnelle faillit, au risque même de perdre le bénéfice du parcours réalisé.
Il est impératif qu'une formation spécifique réunisse aînés et postulants à cette continuité sous la forme d'un stage récapitulatif du demi-siècle écoulé et prospectif des chantiers à venir. Rappelons que des programmes ont été élaborés et proposés dans cette perspective et qu'aucune réponse institutionnelle (DRAC, Université et Collectivités territoriales) n'a été donnée (5).
Une mission devrait être confiée à quelques personnes représentatives des 2 générations concernées pour trouver à cette problématique une issue AFDAS dans des termes artistiques et linguistiques suffisamment « souples » pour répondre aux carences actuelles.

3 / Création : répertoire et recherches
Actuellement, il n'y a pas de « marché » pour un théâtre d'oc qui se définirait sur le seul critère du monolinguisme et du répertoire conventionnel. Il n'y a pas non plus de « marché » pour une théâtralité qui n'aspirerait qu'à la recherche.
Le théâtre d'oc est condamné à l'interculturalité linguistique, à la transdisciplinarité artistique, à la diversité esthétique et au bon vouloir d'une politique culturelle qui compenserait la pénalisation historique d'une « langue non-constitutionnelle » par une compétence territoriale et euro-régionale hardie. La langue d'oc fonde le théâtre d'oc mais la théâtralité occitane doit multiplier ses langages pour ne pas subir la marginalisation de sa langue. C'est le propre de tous les théâtres dits minoritaires de recourir aux autres arts (danse, chant, musique, cirque, jeux de rue, nouveaux rituels...) pour subvertir l'exclusion de sa langue.
A l'heure de l'image omni-présente, il est impossible de concevoir le métier théâtral sans une ouverture sur le cinéma et l'audio-visuel, et il est aberrant que les politiques territoriales n'exigent pas des télévisions décentralisées et des cinémas en quête de paysages des indices de participation locale. Cette sous-représentation culturelle du « local » nuit fortement à l'avenir économique et social du territoire. Celui-ci a besoin d'une identité pour ne pas être qu'une succursale du « mondial ». Les arts en chantier dans le territoire doivent user de tout le potentiel des traditions et des imaginations pour exister dans leur différence. C'est cette remise en route des artistes et des
artisans de la théâtralité méridionale que les élus de la nouvelle Région doivent activer. Si l'échelon du national est réfractaire à cette liberté d'expression, ils doivent s'employer (avec les culturels locaux) à mettre en place les tremplins inter-territoriaux et euro-régionaux aptes à débloquer de nouveaux horizons, de nouvelles collaborations, de nouveaux échanges et de nouvelles créativités.
Un tel contexte ne doit pas démettre le théâtre d'oc de son ouvrage mais appeler le théâtre d'oc à des co-productions et à des co-réalisations qui le remettront en scène sur les espaces publics et privés d'une légitimité reconnue, solidaire et fertile. Rien n'empêche les élus régionaux de conventionner cette ouverture.

IV - Conclusion
Cette alternative expérimentale du spectacle vivant occitan ne garantira pas, à elle-seule, l'avenir de notre culture mais elle contribuera, autant que possible se peut, à lui rendre des usages, des inspirations et des mémoires utiles à sa ré-actualisation. Reliée au patrimoine, à la transmission et à la création, cette alternative est le complément nécessaire à l'enseignement de la langue d'oc sans faire de la langue d'oc la condition sine qua non d'une intégration ou d'une découverte.
Ces dernières années, toutes les occasions furent propices pour réduire les moyens que la langue et la culture d'oc avaient acquis au prix d'un dévouement hors du commun. Le ré-ajustement qui s'impose aujourd'hui ne doit pas être le prétexte à une nouvelle minoration. Le budget des cultures régionales de France est le parent outrancièrement pauvre de la culture nationale. Malgré la crise, les moyens du spectacle vivant occitan doivent être maintenus et complétés par l'accession à des réseaux qui lui étaient fermés mais qu'une politique de patrimoine, de transmission et de création peut ouvrir ou ré-ouvrir si élus et praticiens partagent le principe de l'équilibre et de la diversité qui est à la base de tout éco-système culturel territorial.

Alranq Claude
Auteur , acteur, metteur en scène et conteur,
enseignant-chercheur ayant produit son doctorat d'Etat
sur « le Théâtre d'oc contemporain et les arts de jouer du Midi de la France »

(1) Nous entendons par phénomène culturel méridional tout l'humus des langues et des cultures qui ont donné au Midi de la France sa personnalité historique.
(2) Cf la convention de l'UNESCO de 2003 qui définit la notion de p.c.i. et précise les droits et devoirs des cultures du monde.
(3) A l'université de Nice-Sophia-Antipolis, nous avons expérimenté cette notion et obtenu en l'an 2000 la première licence professionnelle artistique. Elle a pris le titre d' « ACTEURSSUD» et a accompagné nombre de formations-créations sises en pays d'oc et francophonies, avec le partenariat professionnel du T.I.O. et le partenariat scientifique du Centre national d'Ethno-scénologie. Elle a disparu en 2007 parce que l'Université de Montpellier n'en a pas voulu.
(4) Cf la promesse de G. Frêche lors de sa dernière élection à la présidence de la Région Languedoc-Roussillon.
(5) Depuis 2006, le partenariat ACTEURS SUD-TIO a interrogé les instances publiques sur cette problématique. Cette question interpelle à présent les universités de Toulouse, Montpellier et Barcelone autour du qualificatif de « p.c.i. territorial ». Contrairement à
d'autres régions méridionales, les ex-Régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon n'ont pas encore procédé à l'étape première de l'inventaire. Gageons que la Région Occitanie, Méditerranée-Pyrénées rattrapera le temps perdu...